Je pousse la porte de Sos-inceste, une association orientant les victimes d’abus sexuels intrafamiliaux vers un réseau de professionnels mis en place par ses soins. L’assistante sociale qui m’accueille me fait part des difficultés rencontrées par les victimes pour effectuer ce simple geste: « Quand on grandit dans un climat incestueux, il faut une détermination énorme pour se rendre compte de l’anormalité de ce que l’on vit et un courage immense pour remettre en cause le fonctionnement de sa famille ». Je me souviens sans peine de cet instant où, à six ans, mon père m’assura que les agissements de mon grand-père allaient cesser. Tout en soulignant le mal que cela représentait et la nécessité de ne plus jamais en parler. J’ai immédiatement enfoui cette honte au plus profond de moi en me refermant telle une huître. Totalement livrée à moi-même face à ce terrible secret.
Autour d’une tasse de café et de quelques biscuits je fais part de mon vécu à la jeune femme afin de souligner ma connaissance du sujet. Elle me donne quelques dépliants et de la documentation tout en m’assurant de me fournir la liste des professionnels membres de leur réseau lors de ma prochaine visite où j’aurai l’opportunité de rencontrer la directrice, psychiatre de son état. Je manque de m’étrangler, la semaine suivante, face à l’expression compatissante de cette dernière qui, si elle ne doute pas de la réalité des traumatismes subis, semble pourtant préjuger de ma capacité à m’en sortir. Un peu choquée, j’exige la liste tant attendue et me précipite à l’extérieur.
Nina Graça est une femme timide, elle hésite longuement avant de m’ouvrir la porte de son domicile. Selon elle, ce trait de caractère inciterait de nombreuses patientes à franchir le seuil de son cabinet gynécologique. Le blocage de certaines d’entre elles est parfois tel qu’elle n’hésite pas à consacrer plusieurs séances afin de les rassurer: « Les personnes abusées sexuellement éprouvent souvent d’énormes difficultés à subir mes examens ». Face à son attention, parfois, quelques langues se délient tandis que certaines situations posséderaient le don de lui mettre la puce l’oreille: « Une jeune fille, particulièrement timorée, s’est un jour présentée à moi accompagnée d’un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Je ne pouvais déterminer la relation qui existait entre eux. Elle semblait retardée mentalement. J’ai trouvé cela très bizarre ». Elle m’évoque discrètement l’histoire de cette personne qui, il y a quelques années, a défrayé la chronique judicaire. Aujourd’hui, elle a réussi à s’extraire de cette relation incestueuse et à reconstruire sa vie. Elles ont entretenu une longue relation thérapeutique et, bien davantage, ont développé une réelle amitié. Elle me promet de lui soumettre ma demande d’entrevue.
Le Dr Amine Rajan, gastroentérologue lui, est passé maître dans l’art de déceler les lésions physiques consécutives aux abus sexuels. Il consacre à ces patients de longues consultations afin d’instaurer également une relation de confiance. Une nécessité d’une part afin d’étayer la constitution d’éventuels dossiers judicaires mais, également, d’attester la réalité des faits auprès des victimes elles-mêmes: « Que la réalité de l’agression soit confirmée par une personne dépositaire de l’autorité médicale revêt une importance essentielle à leurs yeux ». Il me mentionne également une de ses patientes qui, aujourd’hui, s’est rétablie et est à nouveau capable, notamment, de renouer une relation amoureuse: « Elle est venue sonner à mon cabinet juste pour me l’annoncer » sourit-il. « Quand les anciennes victimes recréent enfin des relations sociales équilibrées et empreintes de confiance, c’est que le combat n’est plus loin d’être gagné. Je reste, en tous cas, très admiratif de leurs combats. ».
Prescription...
Ancien député, Vincent Decroly avait fait partie de la commission d’enquête parlementaire se penchant sur l’affaire Dutroux où il s’était distingué par son intégrité. Aujourd’hui éloigné de la politique, il s’implique pleinement dans son travail de juriste. Il reçoit notamment les personnes envoyées par Sos-Inceste pour les informer sur les conséquences de l’introduction d’une éventuelle plainte en justice. Et les questions sont innombrables… Porter plainte est-il opportun? Comment procéder ? Vais-je être entendu par la police ? Mon agresseur va-t-il en être informé ? Comment serai-je protégé ? Quelles seront les condamnations possibles ? Puis-je espérer un dédommagement financier ? Combien de temps durera la procédure? Quel sera l’impact sur la famille ? Comment se passera le procès proprement dit ?
« Souvent, il n’est pas possible de faire quoi que ce soit. Simplement parce que les délais de prescription sont dépassés. Or les victimes prennent énormément de temps pour se rendre compte de l’abus et encore davantage pour s’en ouvrir aux autres. Et quand c’est encore possible, la décision de porter l’affaire devant la justice demande encore un délai de réflexion, explique-t-il. Il m’est arrivé de rencontrer une personne âgée de plus de quatre-vingts ans qui s’est effondrée devant mon bureau, c’était la première fois qu’elle osait parler de ce qu’elle avait subi durant l’enfance ».
En Belgique, le délai de prescription est établi à dix ans après l’âge de la majorité, ce qui limite l’âge maximal de dépôt de plainte à 28 ans. Et si la loi envisage les crimes de viols, d’attentats à la pudeur et de harcèlement, elle ne tient pas explicitement compte de l’inceste. Seule une aggravation de la peine est prévue lorsque l’agresseur possède autorité sur sa victime. Pour Astrid Bedoret, avocate spécialisée en droit familial, cette législation est clairement insuffisante. « Il est assez aisé pour une famille de dénoncer un agresseur extérieur lors d’actes pédophiles. Mais lorsque c’est la famille elle-même qui agresse, une chape de plomb s’abat sur la victime. Et grandir dans une ambiance aussi totalitaire provoque d’immenses dégâts, explique-t-elle. La spécificité intrafamiliale n’est pas prise en compte dans la loi, or il s’agit d’un crime à part entière. Et, pour moi, parfois aussi grave qu’un meurtre. Certaines personnes ne s’en relèvent jamais. De plus il n’existe pas de catalogue de peines spécifiquement liées à l’inceste. Les mesures prises en justice sont donc souvent inadaptées au contexte intrafamilial ».
Dès lors, en collaboration avec l’association sus citée, l’avocate a rédigé un projet de réforme légale pour le soumettre à la commission parlementaire de la justice qui s’est penché sur la problématique. Celui-ci réclame l’allongement du délai de prescription mais, également, la qualification de l’inceste dans la loi. « Alors qu’elle est sensée protéger l’enfant, comment envisager que la famille puisse en devenir le bourreau ? S’interroge-t-elle. Les résistances ont été énormes: en craignant la criminalisation des relations familiales, beaucoup refusent de mettre en danger cette cellule constituant la base même de toute vie sociale ». Une question essentielle qui se pose, en effet, aux victimes elles-mêmes dans toute son ampleur. Comme si c’était hier, je me souviens de la peur lue dans les yeux de mon père à la perspective de la révélation du secret. Et comment, du haut de mes six ans, survivre à cette implosion familiale? Le silence qui s’est alors totalement imposé à moi n’a commencé à se fissurer qu’à l’âge de… 29 ans. « Les victimes d’inceste endossent la responsabilité de la cohésion familiale. De personnes protégées, ces enfants deviennent protecteurs de la famille, confirme Chantal Duchâteau, psychiatre à Sos-enfant. Car la révélation du secret provoquerait un véritable tsunami familial ».
Parents / Instituteur
Dans le commissariat décrépi, la petite fille circulait d’un local à l’autre, Dans l’un son père et sa mère, dans l’autre l’instituteur qui avait soupçonné l’inceste. Telles les deux faces d’une même pièce de monnaie, son attitude alternait radicalement au passage de la porte. D’un côté l’enfant sage et responsable, de l’autre les attitudes enfantines. « Nous n’arrivions pas à en croire nos yeux, se souvient Karine Minnen. Confrontée à ses parents elle se comportait comme une adulte. Accompagnée par son instituteur, elle redevenait une enfant ». Durant plus de deux heures, sans œillère aucune, la commissaire de la brigade des mœurs de la zone de police Bruxelles-Ixelles détaille son travail : la discrétion durant les enquêtes, l’intrusion policière dans la cellule familiale, parfois l’obligation d’agir très rapidement lorsque l’enfant est en danger et, dans certains cas, la nécessité de l’extraire du cercle familial, les confrontations entre agresseurs et victimes et les dénis fréquents des premiers, les techniques d’interrogatoires vidéo-filmées, la délicatesse indispensable au moment de poser les questions aux enfants, la manière de ne pas orienter les réponses, la collaboration avec les psychologues et les juges d’instruction…
Confrontée à la réalité du terrain, elle illustre ses propos d’une multitude de cas très concrets et extrêmement divers. Force est de constater que, lors de leurs enquêtes, les policiers sont souvent les premiers à brandir le miroir de la vérité. Les conséquences en sont toujours effroyables: « Devant nous, des familles entières s’effondrent littéralement. Les déchirements sont toujours terribles. Parfois, même, ce sont les enfants qui en viennent à consoler leurs parents, se désole-t-elle en mentionnant la difficulté d’un métier qu’elle mène pourtant avec passion. Le déni des agresseurs, aussi, est parfois très difficile à accepter. On encaisse, mais nous avons nous aussi nos propres enfants et nos rôles de parents ». Et quand je demande à deux de ses enquêtrices ce qui les étonne le plus dans leur travail, elles répondent sans hésiter: « le nombre d’affaires à traiter ». Un chiffre fourni par une institution hospitalière traitant les agresseurs, eux-mêmes, affirme que 20% des filles et 15% des garçons seraient victimes d’abus sexuels durant l’enfance. Pour la commissaire Minnen, effectivement, de nombreux problèmes de société auxquels la police est confrontée proviennent de déséquilibres familiaux dont une proportion non négligeable sont, bien sûr, d’ordre sexuel.
SOS enfants
L’équipe Sos-enfant de l’hôpital St Pierre, à Bruxelles-ville, est dirigée par le Dr Gérard. Ce dernier n’hésite pas à pointer l’impact du phénomène. Selon lui, le coût social de la transgression serait immense: difficultés affectives et violences familiales, pathologies physiques et mentales, inadaptations professionnelles et assistanat, marginalité et délinquance… Son département comprend également une cellule qui traite les mineurs délinquants sexuels. Quand je précise à Véronique Sion que, pour moi, ces jeunes sont également des personnes en souffrance, la coordinatrice pousse un immense soupir de soulagement: « Evidemment, leurs comportements sont totalement injustifiables mais il ne faut pas voir en eux que des « monstres ». Si toutes les problématiques sont différentes et que nous les rencontrons dans tous les milieux sociaux sans exception, ces jeunes possèdent un point en commun: ils ont tous, excusez-moi l’expression, un vrai passé de merde. »
Selon elle, le travail consiste avant tout à mettre à jour leurs propres souffrances afin de leur faire prendre conscience des comportements qui en découlent et les pousser à en changer: « Si bien entendu, tordons le cou à un cliché qui a la vie dure, toutes les personnes agressées ne deviennent pas, loin s’en faut, des agresseurs, par contre la grande majorité des agresseurs ont, eux, été agressés durant l’enfance ». L’équipe compte quelques beaux succès à son actif mais regrette l’insignifiance de ses moyens face à l’ampleur de la tâche. « Les budgets ont afflués suite à la prise de conscience gouvernementale lors de l’affaire Dutroux mais avec le temps et la crise, déplore le Dr Gérard, le désintérêt s’accentue et nous craignons un retour de balancier ».
Je déambule dans les couloirs de la Maison des parlementaires. De part et d’autre de ce labyrinthe, députés et sénateurs s’activent dans des bureaux s’apparentant aux cellules d’une ruche. Ou plutôt aux cellules d’un cerveau à l’origine de la conscience législative belge. Pour la députée humaniste, d’obédience sociale chrétienne, membre de la commission parlementaire « justice », l’inscription du terme inceste dans la législation est inenvisageable: « Il ne faudrait pas, selon elle, troubler la paix des familles ». Quant à l’allongement du temps de prescription, elle affirme « qu’il n’est pas bon de remuer des choses trop anciennes ». Elle avance la difficulté, à trop longue échéance, de collecter les preuves et, également, le risque d’erreurs judiciaires face à des accusations parfois malveillantes.
Même constat pour le député écologiste sur l’allongement du temps de prescription et conclusions similaires sur l’incrimination de l’inceste mais pour une tout autre raison: « Toutes les relations incestueuses, notamment entre adultes ne sont pas nécessairement contraintes. Il faut faire très attention : il existe parfois des relations réellement consentantes ». Le représentant libéral refuse, sans justification précise, la qualification de l’inceste, mais me fournit deux projets de loi, rédigés par leurs soins en 2007 et 2009, sur l’allongement éventuel du temps de prescription. Force est de constater, en 2011, qu’aucune suite n’y a encore été donnée, « nous ne savons pas quand nous aurons encore le temps de nous pencher sur la question », m’avait-il avoué tandis qu’une majorité parlementaire nécessaire à la modification des textes s’avérerait, de toute façon, très difficile à dégager. La députée socialiste, malgré mes demandes d’interview répétées, est entre-temps partie en vacances…
Je reste un peu éberluée par les arguments avancés, forts similaires à ceux mis en avant par les agresseurs et les familles incestueuses elles-mêmes, et je recueille l’absence totale de réponse quand je leur demande qui se positionne réellement pour la défense des enfants: l’une me raccompagne tremblotante jusqu’à l’ascenseur, l’autre regarde ses pieds en rougissant tandis que le troisième mime sa désolation. Bien sûr, chacun admet l’existence de ce nécessaire tabou véhiculé par toutes les sociétés humaines mais est-il réellement établi sans se traduire dans des textes de loi ? Je ne peux m’empêcher de songer à ce qu’il adviendrait si l’interdit tout aussi fondamental du meurtre n’y était pas pris en considération. Le tabou de l’inceste ne serait-il pas plutôt celui de le désigner ? Et comment lutter contre un mal que l’on se refuse même à nommer ? Toutes ces questions posées demeurent sans réponses.
Dépression complète
Il y a eu beaucoup de regards croisés, durant ce temps de mon enquête. Une femme dans un train qui, au vu de mon passé que je ne cachais pas, baissait les yeux pour me confier une bribe de son vécu, une autre dont les yeux se mouillaient, un garçon ou l’autre qui m’avouait ne pas être du tout ignorants... Et puis, l’impossibilité de se raconter : des promesses de rendez-vous mais ensuite des fuites. Il me fallait donc passer par une voie plus officielle. Chantal Duchâteau, de Sos-enfant, avait commencé sa carrière en travaillant avec les enfants mais un phénomène étrange l’avait interpellée : elle retrouvait souvent les personnes qui les amenaient en larmes dans sa salle d’attente. Une situation trop fréquente pour qu’elle ne se penche pas sur ces adultes: « Beaucoup de personnes qui ont été abusées n’en parlent jamais. Mais lorsqu’elles sont confrontées à une situation d’abus d’enfants devant elles, elles ne peuvent le supporter. Elles m’amènent alors la petite victime et, confrontées à cette réalité qui est aussi la leur, elles finissent par craquer. Et je les retrouvais là, dans cet état de détresse complète ».
La femme que je trouve aujourd’hui devant moi est l’une d’entre elles. Lorsque je pose mon dictaphone sur la table du cabinet de consultation, elle me parle de l’histoire de sa fille. Je m’étonne car je pensais qu’elle me parlerait d’elle-même. Plus j’insiste, plus elle se met à trembler. Son angoisse emplit à chaque seconde davantage la pièce. De peur de la briser, je n’insiste plus: je me souviens de la terreur que je ressentais à regarder, il y a quelques années encore, ma véritable histoire. Une psychothérapeute du Slaj-v, le Service laïc d’aide aux justiciables, m’a lancé cette phrase: « Les victimes d’inceste ne sont pas vivantes ». Cela signifie, je crois, qu’elles se construisent une image idéalisée afin de masquer leur souffrance: la vie vécue comme une fiction où jamais le réel n’entre en jeu. Et ce décalage peut amener aux plus incroyables inadaptations. Dans une vidéo de témoignages réalisée par le Slaj-v, une personne va jusqu’à prétendre qu’elle ne ressentait rien lorsqu’elle plongeait sa main dans de l’eau bouillante, s’occasionnant dès lors d’innombrables brûlures. Une autre se perdait en rue lorsqu’elle déviait de ses itinéraires habituels, plus banalement de nombreuses personnes se disent heureuses alors qu’elles meurent, intérieurement, à petit feu.
Je me souviens bien sûr, de mon indécrottable distraction et de mon incapacité à avouer la moindre de mes faiblesses. Le décalage entre mon image et ma vérité est devenu tel qu’à un moment j’ai failli sombrer dans la schizophrénie. À 29 ans, encore, mon amnésie était totale: pour moi, le viol n’avait jamais existé. J’ai fui ma détresse grâce au cannabis comme cette seconde patiente de Chantal Duchâteau l’a fait grâce à l’alcool alors que d’autres, encore, sombrent dans la dépression ou songent au suicide: « Dès le matin, je ne savais pas aller travailler sans avaler deux ou trois bières fortes. Et la journée, sans aucune raison apparente et de façon totalement soudaine, des images cauchemardesques s’imposaient à moi. Ces flashes pouvaient arriver n’importe où et c’était réellement impossible à vivre ». La psychiatre me confirme la fréquence de ces dédoublements: « Un réflexe psychologique que les victimes utilisent pour se sauver de situations trop difficiles à affronter ».
Peu de cas aboutissent
J’use les bancs de la 54e chambre du Tribunal de 1e instance de Bruxelles, spécialisée en matière de mœurs. Impossible de savoir quand auront lieux des procès liés à l’inceste, j’assiste donc à d’innombrables séances traitant de toutes sortes de matières : viols, proxénétisme, pédophilie, exhibitionnisme, voyeurisme, harcèlement… Durant un mois, seuls trois procès seront liés à l’inceste. Force est donc de constater que très peu de cas aboutissent devant un tribunal. Mais une attitude est commune à la toute grande majorité des accusés en matière de mœurs: le déni. La déviance sexuelle est bien entendu un tabou difficile à briser et, en toute affaire, la honte de se dévoiler y est particulièrement présente. Ce qui amène, la plupart de temps, les agresseurs à nier la plus élémentaire évidence.
Sur les marches du Palais de justice, un jeune avocat me fait part de son désarroi: « Les accusés ne reconnaissent tellement rien malgré les preuves qui sont avancées qu’ils prennent toujours le maximum de la peine. Quand ils n’essaient pas, carrément, de vous manipuler alors que vous êtes là pour les aider. Il n’y a jamais, ou presque, de prise de conscience ni de repentir. Je trouve ce genre d’affaires très difficile à défendre. » Il y a ce pédophile d’une soixantaine d’années qui avoue carrément son amnésie. Face aux analyses ADN irréfutables effectuées grâce à un prélèvement de son sperme dans la salive même d’une de ses petites victimes, il déclare: « Je veux bien vous croire, j’y suis bien obligé, mais je ne me souviens de rien ». Le décalage entre son image et sa vérité est tel que son dédoublement est total. Il ne parvient pas à relier ces deux faces de sa personnalité. Récidiviste, lors du verdict, l’internement psychiatrique se révèle inévitable.
Et puis, il y a ce père de famille, qui a violé son fils âgé de six ans. Lors de la révélation des faits, la réaction de la mère, n’hésitant pas à sacrifier son couple pour défendre son enfant, a été exemplaire. L’enquête a été rondement menée, expertises médicales à l’appui, et les preuves sont irréfutables. Lui aussi, pourtant, nie l’évidence jusqu’au bout: six ans fermes. Il évite de peu l’arrestation immédiate et, dans les couloirs, accompagné de ses parents, il pointe encore la malveillance de son ex-femme.
Vient encore cette famille disloquée, entre les actes du père et le silence de sa femme, dont l’adolescente victime vit, aujourd’hui, en foyer d’accueil. L’homme écope de l’interdiction d’approcher sa fille et d’une peine avec sursis afin de lui permettre de se soigner. De fait, l’incarcération lui ôterait toute possibilité de traitement psychiatrique: « Cette possibilité de soin est inexistante dans le système carcéral belge, souligne encore l’avocat désabusé. Un de mes clients incarcérés demande lui-même, depuis des années, la castration chimique et elle lui est systématiquement refusée ». Les jugements prononcés oscillent donc, invariablement, entre détention et libération à des fins médicales. Puis ce couple divorcé qui se déchire autour de la garde des enfants, dont les protagonistes s’accusent mutuellement d’actes pédophiles et de harcèlements. Devant l’absence de faits tangibles, la juge les renvoie dos à dos. Je m’interroge toutefois sur la place réelle de ces enfants servant, tour à tour, les intérêts de leurs parents.
Le poids du silence
Le poids du silence me paraît énorme. Je désespère de trouver une personne qui veuille bien me témoigner, hors cadre médical, de son parcours. Quand, un beau matin, Charlotte me téléphone parce que « J’ai envie de témoigner de la possibilité de s’en sortir », me dit-elle. C’est bien la même personne dont m’avait parlé Nina Graça et le Dr Rajan. Je l’ai alors rencontrée avec son compagnon, Christophe, et nous avons échangé nos histoires. Bien différente de la mienne, celle de Charlotte était tout simplement terrifiante: un homme qui s’introduit dans sa famille, entre son père et sa mère, pour prendre la place d’un gourou, un soi-disant guide spirituel. À ses douze ans, les sévices sexuels commencèrent avec la complicité totale de ses parents. Ils durèrent plus de dix ans, parfois carrément sous la menace des armes. Un parcours d’une violence extrême qui aurait dû déboucher sur la prostitution si elle n’avait pas rencontré Nina Graça et trouvé la force de relever la tête: « Je m’étais clivée: j’avais mon cœur et ma tête d’un côté et mon corps de l’autre.
Je ne parlais plus, en fait, et ne savais nommer ni mes sentiments, ni mes pensées. Il fallait que j’apprenne les mots. Et Nina a été la première à me parler d’inceste. Alors, j’ai commencé à faire des liens tandis qu’elle me montrait que le respect existait, que l’autre pouvait être autre chose qu’un objet ». Une reconnaissance que Christophe n’avait pas eu de difficulté, non plus, à lui apporter. C’est un véritable coup de foudre qui avait présidé à leur rencontre alors qu’ils se découvraient d’innombrables points communs. Pourtant, Christophe n’avait jamais été victime ni de viol, ni d’attentat à la pudeur: « Je suppose que ma grand-mère avait été violée, mais c’était un secret de famille qui n’a jamais été dévoilé. C’était quelqu’un qui avait une peur immense des hommes et qui exerçait une emprise totale sur ma mère. Et comme ça se déroulait de manière totalement inconsciente, j’ai encaissé toutes ces angoisses. Il n’y avait aucune limite: les portes ne se fermaient jamais à clé et je ne possédais aucune intimité. C’était un climat très confus et très lourd où l’interdiction de la sexualité était totale ». Il lui a fallu plus de cinquante ans, et cette rencontre avec Charlotte, pour qu’il se permette enfin d’exister librement: « Je suis passé par des états psychiques terribles lors desquels j’ai réellement cru sombrer dans la folie. Oui, j’ai grandi dans un climat complètement incestueux. Mais c’était un inceste psychologique ».
Mettre des mots sur ses souvenirs
J’ai moi-même rencontré une personne qui a vécu, un peu différemment, ce type d’inceste. C’est elle qui m’a permise de mettre des mots sur mes souvenirs et qui m’a aidée à me rétablir. L’action qu’elle a eue sur moi a, petit à petit, fini par mettre également sa réalité à jour. Un peu comme celles qui accompagnent ces petites victimes dans la salle d’attente de Sos-enfants. Mais si les conséquences sur sa vie n’en avaient pas été moindres que les miennes, quelque part, les mots étaient encore plus difficiles à poser. Pas d’actes précis à qualifier: pas de viol, ni d’attouchements. Peut-être, seulement, du harcèlement.
Marianne Thomas, qui a été Procureur du Roi à la section mœurs du parquet de Bruxelles durant six ans, possède une excellente expertise de ce genre de situation: « Il n’y a pas d’attouchements, ni de viol, mais quelque part on abuse psychologiquement d’un enfant. Ce sont des ambiances incestueuses: des portes qui ne se ferment jamais, des parents qui choisissent les vêtements et, même, sous-vêtements de leurs adolescents, des filles qui ne peuvent avoir de petits amis, des regards irrespectueux, des mots dévalorisants… C’est une sorte d’appropriation de l’enfant et, dans ces cas là, le rôle joué par les mères est souvent réellement dramatique ».
Elle ne nie pas les dégâts engendrés par ces comportements, mais reconnaît l’impuissance de la Justice: « La Justice n’appréhende pas parce que ce n’est pas punissable. Déjà un inceste classique qui ne laisse pas de traces c’est difficile à défendre, mais si c’est psychologique alors, non, c’est impossible. Dans le système pénal actuel, il faut des faits. » Je me rappelle les propos de cette policière chargée de l’aide aux victimes qui regrettait que, dans l’état actuel de la législation, il soit bien plus risqué de voler un sac à main que de détruire un enfant sans laisser de trace. Mais pour la procureur, ce n’est tout simplement pas le rôle de la Justice: « La Justice est là pour protéger l’autorité de l’Etat: pour dire le droit et la loi mais pas pour faire du bien aux gens. Il y a une confusion de la part des victimes qui en attendent une reconnaissance mais ce n’est pas son rôle. Les psychiatres sont là pour ça. »
Quant à l’inscription éventuelle du terme « inceste » dans la législation elle déclare: « L’inceste a toujours existé. Aujourd’hui notre société le considère comme un fait délictueux, mais peut-être que dans cinquante ans on trouvera ça normal. Qui sait ? Comme en Angleterre où la sodomie est encore interdite même si on ne la poursuit pas, comme les homosexuels pourront, peut-être un jour, adopter. Tout peut évoluer. Ce serait tout de même incroyable de se dire qu’en passant des lois et en posant des jugements on va interdire l’inceste. Je n’ai pas d’avis à donner là-dessus, ces questions sont hors de ma compétence ». Il existe pourtant bien une conscience de l’inceste dans la pratique informelle et quotidienne de la Justice. À noter, par exemple, l’attitude de la juge ayant présidé au procès de l’agresseur de Charlotte qui avait insisté sur l’importance de sa présence lors du verdict alors qu’elle envisageait de s’en absenter, ne supportant plus d’entendre les dénégations de son bourreau: « Son regard et son clin d’œil envers moi lors du prononcé de culpabilité, se rappelle Charlotte, m’avaient fait le plus grand bien ».
Le juge d’instruction Benoît Vandermeersch possède également une sensibilité très affinée de la problématique incestueuse. C’est notamment grâce à son action qu’ont été généralisées les auditions vidéo-filmées et les formations des policiers pratiquant les interrogatoires afin de ne pas retourner inutilement le couteau dans la plaie des victimes. Celui-ci est également conscient de la difficulté de poser, parfois, un verdict approprié: « Je me souviens d’une jeune fille que j’informais de la future requête d’emprisonnement de son père qui serait posée par le Parquet. Celle-ci m’avait lancé un regard effrayé en me disant que ce n’était absolument pas ce qu’elle souhaitait. Pour sa part, elle ne voulait qu’une chose: qu’on impose à sa famille de poser un loquet à la porte de la salle de bain afin de respecter son intimité. »
Les intérêts professionnels
« On n’arrête pas de parler au nom des victimes avec une confusion des rôles qui est effarante. Si on pouvait cesser d’aimer un parent le jour où il nous fait du mal, tout serait très simple. Hop, terminé ! Sans aucune ambivalence ni aucune équivoque. Mais alors qu’en tant qu’adulte nous sommes incapables de le faire, on va l’exiger d’une gamine de 15 ans. C’est hallucinant. On pourrait entendre les victimes mais cela indiffère complètement les professionnels concernés parce qu’ils pensent d’abord à leurs propres intérêts. Personne ne veut qu’on puisse dire que ce soit de sa faute s’il y a récidive, alors on garde les gens en prison. Et quand, au bout de la peine, il n’y a ni suivi psy, ni logement, ni famille on court droit à la catastrophe. En fait, on se fiche de la récidive : ce qu’on ne veut pas, c’est qu’on puisse en identifier le responsable. C’est très différent », constate Serge Corneille quant à l’inadéquation des peines liées à l’inceste. Psychiatre à l’unité Antigone de l’Université de Liège qui s’occupe des agresseurs sexuels, il ajoute: « En fait, c’est une matière très complexe dans laquelle on ne peut se permettre aucun systématisme. Il y a des personnes, le disant elles-mêmes, à qui ça a fait beaucoup de bien de passer par la prison et d’autres qu’on ferait mieux de laisser dehors. Il y en a qu’on va garder très longtemps alors que ce serait bien mieux de les libérer rapidement. Tandis qu’il y en a d’autres que je préférerais voir enfermées jusqu’à la fin de leurs jours. Mais c’est très emmerdant pour des politiques qui doivent avoir un discours schématique et caricatural ».
J’ai écumé la plupart des lieux travaillant avec les agresseurs sexuels avant de pouvoir recueillir un seul témoignage. Si le tabou entourant les victimes m’avait semblé encore puissant, celui dissimulant les agresseurs l’était bien davantage. Tous les centres, qu’ils s’occupent d’adolescents ou d’adultes, avaient plus ou moins discrètement refusés de me mettre en contact avec un de leurs patients. Quand ma venue n’avait pas carrément été signalée par le Centre d’Appui Bruxellois (CAB), vérifiant l’application des mesures de suivi psychologiques décidées par les tribunaux envers les agresseurs, auquel je m’étais adressée. J’avais finalement appris qu’un des patients de Serge Corneille avait ouvertement témoigné lors d’un colloque réservé aux spécialistes.
Jacques
Jacques avait abusé de sa belle fille alors qu’elle n’avait que neuf ans. Selon lui, il avait parfaitement conscience de commettre un acte totalement délictueux. Il m’avance, pour preuve, le fait d’avoir patiemment préparé le terrain, durant quatre ans, en établissant une réelle relation de confiance avec la mère et sa victime: « Le fait d’être considéré comme un beau-père modèle m’a beaucoup facilité le passage à l’acte. Et quand ma compagne s’est absentée pour une longue période d’hospitalisation, j’ai su que le moment propice était venu. ».
Niant ensuite aisément, aux yeux de la mère, les allégations de la petite, il a perpétué le crime durant de longues années: « J’étais très marqué, en fait, par l’attitude de mes propres parents et le fait d’avoir été abusé durant l’enfance par un ami de la famille. Et, surtout, d’en avoir ressenti du plaisir. C’était très gênant parce que pour mes parents, la sexualité, c’était sale. On ne pouvait faire l’amour que pour procréer. Tout pouvait, pourtant, se faire entre les quatre murs de la maison mais il ne fallait surtout pas que cela se sache. Par exemple, on disait qu’on ne pouvait pas voler mais, la nuit quand ça ne se voyait pas, mon père m’emmenait sur les chantiers pour dérober des briques. Comme c’était comme ça pour toute l’éducation, je satisfaisais avec ma belle-fille une sexualité que je n’osais pas vivre ouvertement avec les adultes. Avec les enfants c’était bien plus facile: ils sont spontanés et ne mettent pas de barrière. »
Au début de l’âge adulte, la jeune fille a toutefois rencontré un garçon qui lui a fait prendre conscience de l’anormalité de la situation. Craignant pour l’intégrité de la propre fille, plus jeune, de Jacques, elle a porté plainte à la police où il a bien entendu été convoqué: « Tout le monde que j’avais mis en place s’est effondré. Je perdais évidemment ma femme et ma belle-fille. Mais j’étais tout autant terrorisé à l’idée de perdre ma propre fille et de me retrouver en prison. Je me suis dit: tout ça pour des stupides moments de plaisirs ». Condamné à quatre ans, avec sursis grâce à son aveu, il s’est dès lors plié aux exigences de soins dictés par la Justice. Naviguant d’un service à l’autre, il affirme s’être retrouvé complètement perdu jusqu’à ce qu’il rencontre Serge Corneille pour qui décrire la personne incestueuse comme un monstre manipulatoire est inadéquat: « Mettre en place des stratégies pour obtenir des faveurs sexuelles, c’est ce que fait n’importe quel gars qui sort le samedi soir en boite. S’il y a des modèles psychologiques qui se demandent en quoi un délinquant sexuel a un comportement déviant, il y en a d’autres, beaucoup plus intéressants, qui se demandent en quoi ils fonctionnent comme nous. Et la seule spécificité c’est que, si entre adultes tout le monde est conscient du jeu, avec un enfant on l’amène sur un plan où on est le seul à maîtriser les règles ». Le dégageant, par ce biais, de sa honte, Jacques accepte enfin de se regarder en face et de saisir à pleines mains ses responsabilités: « Je me rends compte que d’avoir eu ce parcours de vie n’était sans doute pas le plus adéquat pour être vraiment moi-même. Les deux choses que j’ai apprises ici, même si ça peut sembler idiot, c’est de pouvoir dire un oui ou un non et, également, de l’entendre. En apprenant ces limites, j’ai appris à m’aimer et me respecter moi-même et donc à aimer et respecter les autres. Avant, je passais mon temps à paraître gentil aux yeux de tout le monde, même à ceux de ma belle-fille pendant que j’en abusais. Paraître, paraître. D’ailleurs, quand j’ai été trouver ma mère, elle m’a répondu qu’elle savait très bien pourquoi je venais mais qu’elle refusait d’en parler. Là, j’ai tout compris: en reconnaissant que ces abus étaient bien vrais, je pouvais enfin exister. »
Tandis que nous nous asseyons à la table d’une taverne, Jacques me parle du travail qu’il effectue, aujourd’hui, au sein des prisons pour tenter de venir en aide aux personnes qui, comme lui, ont abusé d’un membre de leur famille: « S’ils peuvent encore tourner autour du pot avec un psy, avec moi on ne me la fait pas ». C’est sa manière à lui de lutter contre l’inceste, évidemment. Je lui fais alors part de mon propre passé, tout en lui demandant si ça ne le dérange pas que je ne lui aie pas annoncé plus tôt: « Ca ne m’étonne pas, me répond-t-il tout en m’interrogeant, également, sur ma manière d’appréhender sa présence. À travers les carreaux, derrière le sourire en coin de Serge Corneille, je contemple les automobiles défiler sur la grand route et les arbres frémir sous un ciel plombé. Un contexte d’une extrême banalité: « Y’a vraiment pas de souci ». Jacques me conduit alors à la gare où nous nous serrons la main en nous souhaitant une bonne continuation.
Dans le train qui me ramène vers Bruxelles, je songe en vrac à ce que m’ont dit toutes ces victimes qui ont réussi à sortir de l’inceste: « Quand on se dit qu’on n’est pas coupable, on comprend qu’on est un objet qui a été utilisé. Qu’on n’avait pas sa place. Alors, on commence à la prendre: on peut commencer à mettre des limites en parvenant à dire non. C’est apprendre à s’écouter tout le temps, apprendre à s’accepter comme on est et à faire le deuil de ce qu’on n’est pas. Quand on voit le mal qu’on a reçu, on peut voir aussi le bon. J’ai appris à construire à partir de là, même si j’étais différente. Une fierté que j’ai, par rapport à moi, c’est d’avoir osé regarder tout. Même si ça faisait mal. Même si quand on casse un verre, on ne le recolle pas de la même manière. Il y a une brèche qui existe bien: y’a pas d’oubli, mais une compréhension. Sinon, on avance sans savoir où aller ni comment s’y rendre. C’est vrai que ça donne une conscience qu’on peut faire grandir. J’ai cru en la vie, aussi. Et en l’amour. On a un potentiel énorme, finalement ça peut devenir une chance. »
Et la politique...
Il ne me restait plus, par souci d’équité, qu’à interroger la députée socialiste maintenant rentrée de vacances. Elle commence par me fournir les même arguments et conclusions que ses collègues. Mais évidemment, après plusieurs mois d’enquête, mes questions se montrent plus acérées et plus précises. Je m’étonne ainsi de l’impunité dont jouissent les auteurs d’inceste psychologique et, également, de la position des hommes face aux tribunaux. Toujours seuls à se trouver face aux juges alors que, dans certain cas, tout un environnement familial « toxique » assiste tranquillement au procès dans la salle d’audience. N’y aurait-il jamais que les hommes, évidemment auteurs des gestes répréhensibles, à assumer les conséquences de déviances familiales parfois largement évidentes mais « invisibles » ? La députée baisse la tête quelques instants puis, la relevant, rompt avec l’habituelle langue de bois: « Nous sommes en train d’élaborer un projet de loi établissant la notion d’« abus de position dominante ». Il est destiné à lutter contre l’influence néfaste de certaines sectes sur leurs membres. Nous pourrions, peut-être, élargir cette disposition aux comportements incestueux. Pourquoi pas ? »
En me quittant, elle me prétend qu’elle envisagera cette éventualité lors de futures négociations et, rentrant chez moi, je repasse par l’ascenseur de verre. Dans la cabine qui me remonte vers le haut de la ville, une femme semble, derrière moi, converser dans un téléphone mobile. Ma surprise est complète lorsque je me rends compte, en atteignant la place Poellaert, qu’elle parle bien toute seule. Ressassant d’innombrables traumatismes tout en concluant sa complainte d’une interrogation: « J’aurais dû fuir. Mais comment, à dix ans, trouver la force de quitter sa famille ? » Face à l’horizon urbain, je l’entends encore s’égarer dans son interminable monologue tandis que je pose mon regard, tout là haut, sur les rayons de soleil dardant le dôme vertigineux du Palais de Justice.