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Affaire Chauprade : le point de vue de Michel Mourlet
15/02/2009 12:42
Écrivain, chroniqueur, théoricien du cinéma, Michel Mourlet collabore ou a collaboré à nombre de périodiques spécialisés et d’information générale, notamment les Cahiers du cinéma, les Nouvelles Littéraires, la NRF, Combat, Valeurs actuelles, le Spectacle du Monde, le Magazine littéraire, le Point . Il a dirigé la revue Présence du cinéma et fondé le magazine Matulu. Il a également enseigné la théorie de la communication audiovisuelle à Paris-I et anime des émissions consacrées à la langue française sur Radio Courtoisie depuis 2006. Il livre sur son blog sa vision de ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Chauprade ».
J’apprends par la Toile que M. Aymeric Chauprade, éminent géopolitologue qui fut récemment mon voisin de colonne dans un dossier sur la Francophonie publié par le Spectacle du monde, vient d’être renvoyé de son poste de professeur au Collège Interarmées de Défense pour avoir tenu dans un de ses ouvrages des propos non conformes à le version officielle des « attentats du 11 septembre ».
Admirable Toile, et qui viendra peut-être, hélas ! à bout des censures ! Je dis : hélas, car je tiens d’abord à rendre hommage à celles-ci. Elles sont à notre connaissance le meilleur auxiliaire de la vérité. Je pèse mes mots, comme toujours. Qu’est-ce qui a le mieux porté et soutenu la pensée bouleversante de Descartes, sinon l’obligation pour le premier philosophe moderne de s’exiler, de s’avancer masqué, d’attirer ainsi sur lui l’attention de l’Europe entière ? Qui a le mieux servi la mémoire de Fouquet : quelques ravissants poèmes de La Fontaine ou la forteresse de Pignerol ? Croiriez-vous par hasard que le destin posthume de Voltaire a été assuré par son théâtre ? Pourquoi André Chénier, que valaient bien (je les ai lus et savourés) une bonne dizaine de ses contemporains préromantiques, est-il le seul à être célébré depuis le XIXe siècle ? Qui a permis à Flaubert de connaître des tirages qui n’auraient jamais dépassé ceux de Stendhal (du vivant de ce dernier, bien sûr), s’il n’eût bénéficié de l’appui inestimable du procureur Pinard ? Je vais encore poser une question affreuse, et qui va me valoir de nouveaux ennemis : Brasillach serait-il plus lu en 2009 que l’auteur de la Meute, s’il n’avait été fusillé, alors qu’Alphonse de Châteaubriant a, de sa belle mort, fini son parcours en Autriche ? Et que l’on ne compte pas sur moi pour révéler qui fut dans l’Histoire l’allié le plus efficace d’Israël.
Donc, pour le triomphe inéluctable de la vérité, pour l’accélérer souvent, pour le renforcer toujours, vive la persécution ! Vive les censures !
J’ai orné « censures » d’un pluriel : dans notre cher pays, elles furent en effet multiples et dans les domaines les plus variés au long de son millénaire. Il n’est pas un Français qui ne rêve de bâillonner tous les autres Français qui ne pensent pas comme lui. J’en viens même à supputer que de nos caractéristiques natives, pour un observateur extérieur sans préjugé, c’est la plus permanente et visible. En d’autres nations comparables on trouve des factions antagonistes, des gens qui massacrent leurs voisins pour des principes ; et même des crimes d’État approuvés par la servilité de la presse. Mais où entend-on dans nos temps d’Occident, depuis que Lénine, Staline et Hitler ont cédé la place, une Parole Unique omniprésente qui s’arroge la fonction de décider de la vérité et de l’erreur, filtre à travers ses propres critères des carrières dévouées à la pensée, et qui peut exclure un beau matin de l’Académie des Sciences, de l’université où il enseigne, de l’Institut où son mérite l’a hissé, et par là même de tous les médias aux oreilles basses lui reniflant dans la main, un homme dont le seul tort est d’essayer de réfléchir par lui-même, à l’écart des rails obligatoires ? Où cela, Monsieur ? Pendant l’Inquisition espagnole ? Chez les mollah ? Chez les talibans ? Que non pas ! En France, Monsieur ! Et quand donc ? Sous Louis XIV ? Sous Robespierre ? Sous les Napoléons ? Sous Pierre Laval ? Non, Monsieur, non, sous Nicolas Ier. La plus belle réussite de Tartuffe, notre héros national par excellence ainsi que Molière l’avait bien vu, c’est d’être parvenu à faire croire au monde qu’en France circulent les idées.
Mais, dira-t-on, cette Parole Unique, ou cette « Pensée d’État », pour qui, pour quoi s’exerce-t-elle ? On distinguait bien la finalité de Lénine, celle – presque opposée par son nationalisme – du Petit Père des peuples, celle du chancelier du Reich, mais que dissimulent ces lois et ukases d’un gouvernement assez délirant ou désemparé pour sanctionner un politologue qui tente de comprendre un événement encore brûlant, alors qu’on ne sait toujours pas vraiment, après des siècles d’études, pourquoi Cléopâtre a déserté la bataille d’Actium ? Est-ce un signal de plus pour dire : « Halte-là ! Aucun historien n’a le droit de fourrer son nez dans les matières de l’Histoire » ? Est-ce une manœuvre des éternels obscurantistes de tous bords pour empêcher une ultime quête de lumière ?
Nous sommes devant quelque chose de bien plus misérable, qui n’a même pas l’excuse sinistre du fanatisme. Nous sommes devant un Pouvoir qui n’a plus de pouvoir que le nom. Nous sommes entre les mains de gens qui essaient de prolonger la fiction d’une autorité dont ils se sont laissé déposséder, en l’exerçant à l’encontre des derniers citoyens libres – et par conséquent vulnérables – pour complaire aux groupes de pression qui les tiennent en laisse : fonctionnaires bruxellois régnant comme Ubu sur leur sinécure, opposition à l’affût, ligues moralisatrices autoproclamées, syndicats maîtres des secteurs vitaux de l’énergie et des communications, financiers internationaux régentant et brutalisant l’économie, corps constitués au sommeil repus – mais l’œil entr’ouvert – sur leurs avantages acquis, minorités de toutes espèces et des pires, qui piochent dans leur sape, grouillent sous leur pierre, qui se regroupent, qui vocifèrent, et toujours pour leur intérêt particulier, pour leur vitrine médiatique, contre l’intérêt général. Voilà la réalité cachée derrière la sanction qui vient de frapper M.Aymeric Chauprade, dont je n’ai même pas lu les mots qui lui sont reprochés, dont j’ignore s’il raisonne juste ou s’il élucubre, mais dont j’imagine seulement que c’est un homme honnête, à la compétence reconnue, et qui a le droit imprescriptible, comme tout être doué de raison et de curiosité, de chercher à comprendre ce qui se passe autour de lui et de s’exprimer à ce sujet.
Qu’on veuille l’en empêcher, je l’ai dit, ne fera à terme – s’il a vu juste - que le servir et précipitera, comme ce fut le cas dans les siècles passés, ses étouffeurs dans les poubelles de la postérité. Comment se retenir en effet de juger suspecte une vérité historique ou scientifique qui a besoin de recourir à la coercition légale pour être admise ? (Après trois siècles d’épistémologie, j’en sais quelques-uns qui doivent se frotter les mains de ce retour en force de l’acte de foi !) S’il est démontré cependant, preuve à l’appui, que M. Chauprade a tort, cette vérité n’aura que plus d’aisance à s’établir. N’empêche : il est un peu triste de constater que le chemin de la curiosité intellectuelle, en France, reste toujours le plus exposé à la vindicte.
Michel Mourlet
Source : Carnet de route
http://fr.novopress.info/?p=15593
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