Cesare Battisti : l’entretien d’Alberto Torregiani dans Le Choc du Mois
La libération par le Brésil de Cesare Battisti, cet ancien terroriste et assassin d’extrême gauche italien condamné dans son pays à la prison à vie pour quatre assassinats, amène Novopress a publier un entretien que l’une des victimes, Alberto Torregiani, avait accordé au mensuel Le Choc du Mois en février 2007.
Affaire Cesare Battisti
« Je mets au défi Fred Vargas de venir
débattre avec moi »
« J’étais en guerre et je ne le savais pas ». Tel est le titre quelque peu déconcertant du livre d’Alberto Torregiani (1) dont le père a été assassiné par un commando des Prolétaires armés pour le communisme (PAC) de Cesare Battisti, en fuite depuis l’été 2004 (2). Il nous parle de son combat et de son exigence de vérité, sans haine ni volonté de vengeance.
Pour découvrir qui est cet italien de 43 ans et comprendre ce qu’il a enduré, il convient de se replonger dans les années de plomb qui ont ensanglanté l’Italie durant la décennie 70, lorsque le terrorisme gauchiste semait la terreur au nom de la lutte des classes. Le 16 février 1979, à Milan, un commando des Prolétaires Armés pour le Communisme (PAC) - dont l’un des chefs n’est autre que Cesare Battisti, devenu depuis trois ans la coqueluche de la gauche française - abat le joaillier Pier Luigi Torregiani (3). Celui-ci a osé résister, quelques semaines auparavant, à une tentative de hold-up menée par ces mêmes PAC. L’assassinat a lieu sous les yeux du fils adoptif de la victime, Alberto, alors âgé de quinze ans. Atteint par une balle perdue, celui-ci est depuis lors paraplégique et cloué dans un fauteuil roulant, lui aussi victime innocente d’une guerre qui ne voulait pas dire son nom…
Le Choc du mois : Quinze ans, c’est jeune pour « être en guerre », surtout quand on ne le sait pas. Après avoir été jeté dans cette guerre que vous ignoriez, vous avez dû mener votre propre guerre pour réapprendre à vivre. Parlez-nous de celle-là.
Alberto Torregiani : Quand je suis sorti du coma, je me suis rendu compte que j’étais paralysé. Mais le plus angoissant n’a pas été cela : je voulais crier mais aucun cri ne sortait pas de ma gorge. J’avais perdu l’usage de la parole : je ne pouvais pas prévenir ceux qui étaient en train de me soigner…
Après le réveil vous prenez conscience de votre nouvelle condition. Vous réfléchissez à ce que vous devez faire, à ce que va être votre avenir. Ça en devient même obsessionnel. A la fin, il faut choisir : ou bien recommencer une vie nouvelle dans les conditions nouvelles où bien se lamenter sur son sort en maudissant ceux qui vous ont réduit dans cet état. Moi j’ai choisi, peut être de façon absurde, de recommencer à vivre, de me retrousser les manches et de me fixer des buts.
Entre quinze à dix-huit ans, j’ai passé trois ans à l’hôpital. Durant cette période, je n’en suis sorti en tout et pour tout que quatre ou cinq jours, pour Noël. J’ai passé des journées entières à suer sang et eau lors des séances de rééducation pour tenter de récupérer un tant soit peu de mobilité. C’est ce qui m’a permis de pouvoir au moins rester assis sur une chaise roulante, donc d’avoir une certaine autonomie.
Quel regard portez-vous sur les « années de plomb » qu’a connues l’Italie ?
Pour moi qui n’étais qu’un gamin, ces années de plomb ne m’effleuraient pas. Je voyais les titres des journaux mais cela me semblait appartenir à un autre monde, pas au mien. Pour un enfant de quinze ans, ce qui importait c’était l’école, les devoirs, les parties de foot, la copine, les amis, etc. Se retrouver ensuite impliqué dans l’un des événements de ces années de plomb devient évidemment un poids qui vous ramène sans cesse en arrière. Il faut se rendre compte que ces années-là représentaient un danger quotidien.
A vous lire, la « Révolution », la « lutte des classes » étaient alors des prétextes commodes pour piller et tuer ?
Ça l’est encore aujourd’hui ! Et ça le restera tant que l’individu n’aura pas changé sa façon de penser, ses priorités, ses buts et même ses rêves. Quand on n’a pas d’argent, voler ou trafiquer est bien plus facile même si ce n’est pas très digne.
Cesare Battisti, condamné pour plusieurs assassinats, dont celui de votre père, prétend qu’il est innocent, tout comme ses supporters français. Vous qui avez étudié le dossier d’instruction, quelle est votre conclusion ?
Je me suis plongé pendant plus de quatre mois dans les 1 500 pages du dossier d’instruction qui concernent uniquement mon cas (le dossier complet des divers crimes de Battisti et des PAC compte environ 6 000 pages). Après avoir étudié leur idéologie, leur motivations, leurs actions, il est déconcertant de découvrir comment quelqu’un peut descendre aussi bas dans l’échelle humaine pour atteindre ses buts politiques. Je trouve absurde de prendre une arme pour cela. Il aurait été préférable de mener une guerre à visage découvert parce qu’au moins les deux adversaires se connaissent. Alors que là, avec les PAC, les Brigades Rouges ou Prima Linea, qui frappaient tous ceux qui les gênaient pour parvenir à leurs fins, on était dans le domaine du subterfuge. On ne peut pas imaginer qu’une personne normale puisse avoir ce type de comportement.
Depuis plus de trois ans Battisti est devenue l’idole de la gauche intello-bourgeoise française. Bertrand Delanoë, le maire de Paris, est même allé jusqu’à le placer « sous la protection de la ville » ! Que vous inspire cette mobilisation en sa faveur ?
D’un point de vue politique, les communistes n’ont qu’un seul principe : « nous avons raison, les autres ont tort ». Le doute, la crainte de s’être trompé ne les effleurent même pas. Ensuite, Je pense que de nombreux Français - j’entends par là des gens normaux - ont au départ soutenu Battisti parce qu’ils ne connaissaient pas les faits, qu’ils ignoraient qui il était réellement et ce qu’il avait fait dans sa jeunesse. J’ai découvert au cours de ces deux dernières années que beaucoup de Français avaient changé d’avis après avoir découvert la vérité.
En revanche, ce qui me met en colère, c’est qu’aujourd’hui encore on ne parvient pas à exposer cette vérité aux yeux de tous, notamment aux yeux de ces intellectuels, afin de leur faire comprendre qu’ils se trompent. Le problème c’est que ces intellectuels autoproclamés parviennent à tromper l’homme de la rue.
Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui, en France, ont fait de Battisti un héros simplement parce qu’il est de gauche, en particulier à Fred Vargas, présidente de son comité de soutien, qui, courageuse mais pas téméraire, a refusé de venir débattre avec vous à la télévision italienne ?

Je n’ai pas encore compris pourquoi Fred Vargas s’était à ce point attachée à Battisti. Peut-être est-ce par amitié et cela je pourrais le comprendre. Mais ce que je voudrais souligner, c’est que, bien qu’elle soit une romancière célèbre, bien qu’elle soit plus apte que moi à tenir un discours politique, à débattre, elle n’a pas eu le courage de venir me rencontrer. Et elle continue à soutenir Battisti. Cette absence de courage prouve bien que les thèses de ceux qui le soutiennent sont dénuées de fondements. Elles ne sont qu’un rideau de fumée destiné à masquer la réalité. Ce qui me met en colère, c’est de ne pas réussir à avoir ce débat serein. Moi je mets au défi Fred Vargas de venir débattre avec moi.
Seriez-vous disposé à venir en France pour débattre avec Fred Vargas ?
Très volontiers ! Il est normal que les français puissent entendre un autre point de vue, non seulement au niveau politique mais également au niveau humain. Quand on appartient à un groupe terroriste, quand on est d’accord avec l’idée de commettre des meurtres, on est aussi coupable que celui qui presse la détente. Et l’on doit en assumer toutes les conséquences, matérielles et morales. Battisti ne peut pas se défausser de sa responsabilité sous prétexte qu’il n’aurait pas été présent. Il a commandité ces actions, c’est ça le point essentiel. Sinon cela reviendrait à dire que Toto Riina, le chef suprême de la mafia, accusé d’avoir commandité 180 meurtres, est innocent parce qu’il ne les a pas commis personnellement ! C’est pourtant très simple à comprendre. Ce qui est inconcevable, c’est que certains ne le comprennent pas Battisti a été condamné par deux fois à la réclusion criminelle à perpétuité pour meurtres. Le fait qu’il se soit évadé ne plaide pas en sa faveur. Quand on est innocent, on se bat jusqu’au bout pour prouver son innocence.
Voilà ce qu’aurait fait une personne honnête. Moi, j’aimerais pouvoir débattre de tout cela avec Fred Vargas. Puisqu’elle n’est pas venue en Italie, je suis prêt à venir en France. Je suis quelqu’un qui parle simplement. Elle sera certainement beaucoup plus habile que moi pour défendre sa théologie. Mais quand la vérité s’exprime, les gens normaux la comprennent.
Propos recueillis par Fabrice Bianco pour Le Choc du Mois
(1) Alberto Torregiani, Ero in guerra ma non lo sapevo, coécrit par Stefano Rabozzi et préfacé par Toni Capuozzo, Agar Edizioni.
(2) Nicolas Sarkozy aurait récemment « relancé » la traque de Battisti. Ce qui signifie qu’elle avait été abandonnée ? Cela n’a évidemment aucun lien avec le fait que François Hollande, compagnon de qui vous savez, avait rendu visite au terroriste italien à la prison de la Santé, et que Julien Dray, porte-parole de la même, avait signé une pétition en sa faveur. Le ministre de l’Intérieur va devoir faire vite : l’arrestation d’Yvan Colonna l’avant-veille du référendum sur le statut de la Corse ne lui avait pas particulièrement réussi…
(3) Le même jour, à Mestre, le même commando des PAC assassine le boucher Lino Sabbadin, lui aussi coupable de s’être opposé à une « expropriation prolétarienne ». Lire à ce sujet l’émouvant témoignage de son fils sur : http://www.les-identitaires.com.